Mort de Thierry Ardisson, l’irrévérencieux homme en noir

DISPARITION – L’emblématique animateur et producteur de télévision est décédé ce lundi à l’âge de 76 ans, a annoncé sa famille à l’AFP. Il souffrait depuis plusieurs années d’un cancer du foie.

Thierry Ardisson  disait être arrivé à la télévision par hasard. « J’ai commencé la télé à 35 ans, ce n’était pas ma vocation. Quand j’étais petit, je ne me disais pas que je voulais faire de la télé quand je serai grand. Je n’ai pas ça en moi. Ce n’est pas dans mon ADN. » Pourtant, pendant près de quarante ans, celui qui a grandi devant l’ORTF et les émissions de Jean-Christophe Averty, Daisy de Galard, Denise Glaser, Claude Santelli et Pierre Dumayet, l’a marquée de son empreinte. L’animateur et producteur emblématique de télévision est mort, a annoncé sa famille à l’AFP ce lundi 14 juillet. Il avait 76 ans.

Ce qui plaisait surtout à Thierry Ardisson, c’était d’inventer des concepts. La vie a fait que sa première grande école soit la publicité. À 19 ans, il débarque à Paris. « Je ne savais rien faire. On m’a donné la possibilité de faire des annonces presse, des petits films, des messages radio, des affiches. J’étais comme un gosse » , avouait-il. Mais au bout d’une quinzaine d’années, le jeune homme, à l’origine de slogans célèbres tels que « Vas-y Wasa ! », « Lapeyre, y en a pas deux ! », « Ovomaltine, c’est de la dynamite ! » ou encore « Quand c’est trop, c’est Tropico ! », a envie de nouveaux horizons. « J’ai compris que je ne pouvais pas passer ma vie à faire de la publicité. Comme je disais à l’époque : “À force de vendre du yaourt, on a du fromage blanc dans la tête” », résumait-il. Il découvre alors le monde de la télévision, lui apparaissant comme un eldorado. Malin, il utilise les méthodes de communication apprises dans la publicité pour les appliquer à la télévision et au lieu de vendre des produits, il vend désormais des artistes. Avec succès.

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Dès ses débuts sur TF1 en 1985 avec « Descente de police » où les invités subissent un interrogatoire sec et brutal, l’homme en noir impose son irrévérence et un nouveau rythme. Il présente ensuite « Bains de minuit » sur La Cinq où se succèdent Mick Jagger, Roman Polanski, Jean Paul Gaultier ou Jean-Luc Godard. Pour la première, il reçoit Jacques Chaban-Delmas avec son épouse Micheline. « J’ai pensé que répondre à votre invitation était une obligation à la fois sentimentale, morale et artistique », déclare le président de l’Assemblée nationale qui, prévenu de la présence dans l’émission de l’actrice porno la Cicciolina, affirme : « J’en ai vu d’autres ! » L’ambiance de boîte de nuit joue en faveur de Thierry Ardisson. « Qui dit boîte de nuit dit champagne. Qui dit champagne dit cigarette, etc. J’ai toujours eu à cœur que ce soit pour eux une soirée sympa et décontractée. » « Bains de minuit » est l’émission dont il était le plus fier. « J’ai montré aux gens une branchitude à laquelle ils n’ont jamais accès », s’enorgueillissait-il.

En 1988, dans « Lunettes noires pour nuits blanches » , il réinvente l’interview télévisée et la pousse à son paroxysme dans « Tout le monde en parle »  sur France 2 (de 1998 à 2006). Conscient que de réunir des gens autour d’une table sur un plateau de télévision n’est pas un concept révolutionnaire, Thierry Ardisson met un point d’honneur à mêler des personnalités de tous horizons, ce qu’il appelait fièrement « une pute, un archevêque ». « J’ai réuni des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer. La rencontre la plus étrange fut celle de Maître Capello  et Marilyn Manson  ! On avait l’impression de regarder deux chaînes de télévision différentes », soulignait-il. Vie privée, sexe, drogue, tous les sujets sont évoqués sans retenue. « Je n’ai jamais fait qu’adapter l’esprit rock à la télévision », se défendait-il. Malgré un ton jugé irrévérencieux, chanteurs, acteurs, artistes s’y pressent. « Il y avait une camaraderie avec les vedettes », affirmait Thierry Ardisson. Même les politiques y viennent pour se montrer sous une autre facette. « Ils trouvaient ça chic de s’encanailler. » Et ça marche. Tous les invités se prêtent au jeu des questions sans tabou, mais aussi des auto-interviews ou autres blind-tests. Des concepts détonnants qui révolutionnent la télévision conformiste.

En parallèle (2003-2007), Thierry Ardisson officie sur Paris Première. Dans « 93, Faubourg Saint-Honoré », il accueille dans son appartement le Tout-Paris. Autour d’un repas arrosé, comédiens, chanteurs, écrivains, journalistes et sportifs se confessent. C’est au cours d’un de ces dîners que Tristane Banon révèle avoir été victime d’une agression sexuelle de la part de Dominique Strauss-Kahn. En 2006, il rejoint Canal+ où il présente « Salut les Terriens ! »  (2006-2018) puis « Les Terriens du samedi ! »  et « Les Terriens du dimanche ! » . Mais en 2019, faute d’accord avec Vincent Bolloré, Thierry Ardisson claque la porte refusant de « faire de la télé low cost sous le joug des comptables ». « Je veux avoir les moyens de spectaculariser la culture. Ce que j’ai toujours fait, finalement », rappelait-il. En effet, soucieux du moindre détail (décor, lumière, habillage), Thierry Ardisson n’a jamais lésiné sur les moyens pour livrer une émission « créative, intelligente et transgressive où se disaient des choses qu’on ne doit pas dire, où il y avait une liberté de ton devenue rare à la télévision ». « Cela n’existera plus après moi », avançait-il à juste titre. En octobre 2024, après des années de procédures, la cour d’appel de Paris a estimé que C8 n’a pas respecté le préavis qui aurait dû être de quatre mois et demi et a condamné la chaîne à verser à Thierry Ardisson 2,9 millions d’euros.

Après avoir interviewé tout le monde ou presque, “l’Homme en noir” décide de retracer la vie de célébrités disparues en les faisant renaître de leurs cendres dans « Hôtel du temps »  (2022). Des entretiens post mortem réalisés au sein du palace Le Meurice à Paris rendus possibles grâce à une technologie très en vogue mais souvent décriée : le « deepfake ». « Je suis un nostalgique qui utilise les dernières technologies. » Mais faute d’audiences suffisantes, France Télévisions ferme les portes de son établissement remontant le temps après seulement deux numéros (Dalida et Coluche).

En avril 2024, il est fait chevalier de la Légion d’honneur par Emmanuel Macron. Une décoration décriée par certains. « Personne sauf Thierry Ardisson pouvait réunir autant de talents dans une même pièce. Il est capable de lancer à un Gilbert Bécaud éberlué : “Qu’est-ce que ça fait d’avoir deux femmes à la maison ?” », soulignait le président de la République qui n’avait pas tari d’éloges pour “l’Homme en noir” : « Il eut tant d’idées en cinquante ans. Plus qu’un animateur de télévision, c’est un auteur, un inventeur de concepts, un découvreur de talents, un défricheur. Dans une soirée de Thierry Ardisson, les meilleurs mots d’esprit sont ceux de Thierry Ardisson. » Le chef d’État avait conclu : « La Légion d’honneur est une décoration qui a certes été créée par un empereur mais qui a épousé la République. Parce qu’au fond, vous êtes surtout une forme d’anarchiste intempestif qui aime la France plus que tout. » Des éloges qui avaient forcément flatté le principal intéressé : « J’ai beaucoup travaillé depuis l’âge de 19 ans. Que la République s’en aperçoive, c’est pas mal. En plus, le président a fait un discours qui était incroyable. D’une écriture, d’une finesse… En faisant référence à des titres d’émission. Il n’a pas dit “Sucer, c’est tromper” mais “Parfois, le succès peut tromper”. C’était tout en deuxième degré. »

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Plus jeune, Thierry Ardisson a brûlé la chandelle par les deux bouts. « Je faisais des speedballs, une narine de coke, une narine d’héro. Un jour, je ne me suis plus reconnu dans le miroir et ça m’a fait arrêter. J’ai arrêté les drogues dures en 1978. Je suis parti aux États-Unis dans un endroit où j’étais sûr de ne pas en trouver. Mais j’en ai chié pendant trois mois », racontait-il sans tabou. De cette consommation excessive, l’animateur a hérité d’une hépatite C. Mal soignée, celle-ci lui a donné une cirrhose qui a découlé sur un carcinome sur le foie. Ces dernières années, l’animateur avait décidé de préserver sa santé, arrêtant, un temps, la cigarette, en se mettant au sport et en étant suivi par des médecins. « Je prends beaucoup de soin de ne pas être malade, c’est con à dire. Je n’attends pas comme un résigné. Je veux savoir, je veux voir la mort en face, je veux voir arriver le cancer gros comme ça et puis on l’enlève évidemment. Alors, ça ne m’empêchera pas de me faire renverser par un autobus en sortant de chez moi. Ce n’est pas une solution miracle mais au moins de regarder la mort en face, de ne pas fuir », confiait-il.

Thierry Ardisson a été marié trois fois. Avec Béatrice Loustalan, il a eu trois enfants : Manon (1989), Ninon (1991) et Gaston (1996). En 2009, il tombe littéralement sous le charme d’Audrey Crespo-Mara. « Un Domergue vivant. » Il épouse la journaliste de TF1 en 2014. Au cours d’une interview, l’animateur a confié vouloir que ses trois femmes soient présentes à ses obsèques. « Ça me ferait plaisir qu’elles soient là toutes les trois parce qu’elles m’ont aimé toutes les trois, enfin j’espère ! Si toutes les trois pouvaient être l’une à côté de l’autre, je trouve que c’est la preuve qu’elles m’aiment car elles acceptent de se rencontrer pour moi. »

Un documentaire réalisé par sa femme en boîte

Il y a quelques mois, Audrey Crespo-Mara a mis en boîte un documentaire qui sera prochainement diffusé sur TMC. « La promesse est de faire découvrir la face cachée de “ l’Homme en noir”. Ardisson, vous croyez le connaître, pendant trente ans il a été dans votre salon, mais moi je vis avec lui depuis quinze ans et je vais vous dire qui il est vraiment. À moi, il ne peut pas raconter d’histoires. C’est un portrait intimiste de 90 minutes, où j’interviewe ses proches, sa famille », nous a expliqué la journaliste qui a interrogé ses enfants mais aussi ses proches. Tout le long du tournage et jusqu’au montage, Thierry Ardisson n’a eu le droit de ne rien voir. « C’était le deal entre nous. Ce n’est pas hagiographique. Comme elle me connaît par cœur, elle m’a posé des questions absolument infernales (rires). J’ai fendu l’armure parce qu’avec elle, je n’ai pas le choix, j’étais obligé de me déboutonner pour qu’elle ne me dise pas : “Ça, c’est que tu racontes aux journalistes !”», nous a avoué l’animateur.

Thierry Ardisson songeait déjà depuis plusieurs années à la mort. Dans son livre (prémonitoire ?), L’Homme en noir (Plon) sorti en mai, il est la cible d’un tireur fou sur son plateau de télé. Grâce à son concept « Hôtel du temps », il a imaginé être ressuscité un jour. « Je serais ravi. Je m’interviewerais moi-même évidemment. Une fois vieux, une fois jeune. J’aimerais qu’on mette en avant que j’avais des idées. Je ne suis pas un animateur de télé, je suis un inventeur », s’enorgueillissait-il. C’est tout ce dont il souhaite qu’on se rappelle de lui. « J’ai envie qu’on dise : “Putain, ce mec-là, il avait des idées.” À la limite, le jour où je meurs ça pourrait faire le titre du “20 Heures”. C’est tout ce qu’il me faut, je n’ai pas besoin qu’on dise autre chose », espérait-il.

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